les chataignes blanchies
chataignes blanchies
Les châtaignes blanchies
En dehors des châtaignes écorchées d'un coup de bon couteau puis mises dans la poêle trouée à longue queue posées sur les braises du cantou, vous pouvez les apprécier en « boursade » c'est-à-dire bouilles dans leurs peaux comme, parait-il, les aimait Virgile. Ecrasées ensuite dans un bon bouillon, c'est succulent.
Mais, la façon la plus agréable au goût de les manger est de les faire blanchies.
Il existe deux façons de procéder : la rapide et la lente. Si vous voulez ne pas trop vous fatiguer et gagner du temps, faites comme les gens de la ville faisaient quand j'étais jeune, achetez les toutes nues. Rondes et luisantes d'un blanc légèrement mordoré elles vous attendaient dans un simple panier en osier ou en bois avec une anse à coté de cèpes ou de blettes sur le sol du marché. Ma mère, par contre, préférait celles qui étaient habillées et allait les acheter sur le marché de la ville où son mari était alors en poste soit Périgueux, soit Cahors soit Brive. Un bon point pour les lotois et les cantalous, celles en provenance du Ségala, charnues à souhait, lui paraissaient les plus belles.
Si vous les préférez comme elle dans leur cuir, vous en choisissez une vingtaine par personne. Vous vous saisissez ensuite de couteaux bien affûtés et vous donnez vos châtaignes pour l'enlèvement de leur première peau, à des personnes auxquelles cela ne fait rien d'avoir les doigts esquintés. Actuellement, c'est une espèce difficile à trouver.
Leur cuir enlevé, il leur reste une « chemise bourrue » comme disait ma mère et là commence un savant strip-tease.
Munissez vous au départ d'un toupi avec une ouverture et un col relativement étroits se terminant par un renflement en bedaine permettant la danse des châtaignes. En effet, ces dernières, après avoir été ébouillantées deux ou trois fois en évitant surtout de les faire cuire, sont versées au fond de ce toupi. Ensuite les chaînetiers sont trémoussées en tout sens avec un instrument en bois -deux branches de châtaigniers réunies en leur milieu mais non fixées l'une à l'autre et qui sont, du coté travaillant dans le toupi, entaillées par de profondes encoches sur un coté-. Cet instrument est dénommé selon le lieu, Périgord ou Limousin eiviroulaïre ou encore deibouïeradour (ce dernier nom venant sans doute de la bourre, seconde peau des châtaignes). Avec un peu de chance, il est encore possible de trouver toupi et eiviroulaïre sur l'étal d'un vide grenier.
Au bout d'un bon quart d'heure et après contrôle de l'enlèvement complet de la bourre, la préparation est terminée et on peut aborder la cuisson proprement dite.
Il vous faut maintenant vous munir d'un faitout ou d'une marmite en fonte comme le toupi avec une anse permettant de le suspendre dans une cheminée.
Vous prenez une rave que vous coupez en rondelle sur des feuilles figuier ou de vigne ou même de choux. Vous lavez bien ces légumes à grande eau puis, sans les égoutter vous en tapissez le fond de votre faitout. Vous placez dessus un ou deux lits de pommes de terre en robe des champs lavées seulement sans les essuyer. Mouillez aussi vos châtaignes que vous versez enfin dessus ce lit légumier. Quelques grains de gros sel serviront d'assaisonnement.
Avant de fermer la cocotte, on doit accomplir une dernière opération, quasi la plus délicate. Vous dénichez dans une armoire un morceau de vieux drap de lit que vous pliez en deux ou trois épaisseurs. Vous le mouillez comme une compresse et vous l'appliquez sur vos châtaignes en le retroussant tout autour comme si vous les bordiez. Enfin, vous pouvez mettre le couvercle de votre cocotte. A feu menu ,menu et au bout d'une bonne heure,vous vérifierez que votre bout de brindille chargé de cette mission en maintes autres occasions, traverse facilement la châtaigne prise comme témoin d'une cuisson accomplie. Moelleuse au mitan, dorées au pourtour et molletonnées dans leurs feuilles de figuiers ou de vignes, vous pourrez servir à vos convives du soir vos châtaignes dressées sur leur lit de raves suivies de leurs compagnes en robe des champs toutes rissolées dans leur peau que vous dégusterez ainsi sans surtout les peler.
En général, ces châtaignes se mangeaient dans la famille avec un bon beurre du coin voire, à la rigueur, de la Charente voisine. D'autres, comme André Maurois, propriétaire dans le nord-est de la Dordogne, préférait la crème fraîche moins facile à appliquer, mais il est vrai qu'il était Normand. Enfin, pour les faire descendre, un bon vin rosé du Lot ou mieux encore un vin bourru du coin car, dans la verte douceur des soirs sur la Dordogne, c'est avec du vin qu'on les aide à descendre, les châtaignes blanchies.
Andrée Maury Laforest
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